VERNISSAGE JEUDI 14 DÉCEMBRE
DÉDICACE SAMEDI 16 DÉCEMBRE
EXPOSITION DU 15 DÉCEMBRE 2023 AU 20 JANVIER 2024
Pour Manuele Fior, aucune distance ne sépare la bande dessinée de l’illustration, la couleur de la narration, les souvenirs de l’imagination, l’émerveillement de la maitrise. Ancré à Venise après des escales à Oslo, Berlin, Paris, cet artiste féru de perfection et de liberté dévoile à la Galerie Martel une brassée d’originaux : ses créations graphiques pour Un chant de Noël de Charles Dickens, pour La vie devant soi de Romain Gary, les planches de son récit Hypericon, plus des couvertures de livres et des travaux personnels. Au total, une soixantaine d’oeuvres, pour cette exposition à admirer sans modération à partir du 15 décembre.
Manuele Fior, né au nord-est de l’Italie en 1975, n’a qu’un moteur : l’émerveillement. « Le commun dénominateur de mes travaux, c’est la sensation unique qu’éprouve l’enfant devant un livre illustré. Mon oeil s’est formé sur
Les Mille et une nuits, sur
Pinocchio. Ma famille n’était guère portée sur l’art… L’émerveillement que j’ai ressenti, je veux le faire vivre à mon tour par la BD et l’illustration. Je veux que mes images remuent les tripes du spectateur, comme une aurore boréale. » La dernière création de Manuele Fior, une édition illustrée d’
Un chant de Noël, le conte fameux de Charles Dickens (chez Futuropolis/Gallimard), colle en plein à sa trajectoire. Le personnage central du récit, Scrooge - un vieil avare aigri - est visité la nuit de Noël par trois fantômes. À leur contact, Scrooge comprend les erreurs de sa vie, s’amende et rejoint cette humanité qu’il méprisait. « Ma découverte de Dickens est très ancienne. Je la dois à Carl Barks. Ce génie du dessin et du scénario donna leur dimension à Donald Duck et à son univers. Il avait signé une superbe version illustrée d’
Un chant de Noël où Scrooge était incarné par l’Oncle Picsou ! Enfant, ce livre m’avait fasciné. » Et les gouaches de Fior doivent une part d'âme aux studios Disney : « Je me déclare débiteur de cette esthétique, celle qui régna des débuts jusqu’aux années 60, avec ces décors somptueux et ces personnages au traitement légèrement plus plat. La synthèse est parfaite. Et que dire de la couleur… »
Justement. La couleur est le
trademark de Fior. Il a appris de Lorenzo Mattotti - qu’il tient pour un maître - que l’on pouvait faire disparaître les traits noirs cernant les a-plats. Il a compris que la couleur devait devenir acteur de l’histoire. Regardez les planches de son album
Hypericon. La sècheresse diaphane du désert égyptien clashe avec la grisaille berlinoise aux reflets de pluie. Même, à comparer les travaux de Fior, on a du mal à imaginer qu’il n’utilise qu’un unique média. Et pourtant ! Ses fantômes planant dans le ciel de Londres, ses portraits de Raimu ou de Bjork, ses couvertures pour James G. Ballard ou Cesare Pavese, doivent leur force et leur finesse au pinceau et à la gouache. « C’est une technique très ancienne, plus encore que l’huile, Giotto l’utilisait. Mais elle est aussi parfaitement contemporaine : voyez les décors de
Le Garçon et le héron, le dernier Miyazaki. » Souple, versatile, la gouache devient sous le pinceau de Fior aussi légère que l’aquarelle - mais peut réagir comme une vraie peinture couvrante, l’autorisant à poser une couleur claire sur une couleur sombre. « J’aime aussi cette technique pour ses limites. Si elle n’a pas la douceur ni la richesse de nuances de l’huile, sa simplicité la rapproche de la fresque. Elle est honnête. Avec la gouache, impossible de bidouiller. »
La Vie devant soi est un autre pôle de cette exposition. Toujours pour Futuropolis/Gallimard, Fior a illustré ce pur chef-d’oeuvre qui valut le Goncourt 1975 à Romain Gary,
alias Émile Ajar. Son pitch ? L’amitié fantasque entre Madame Rosa, une vieille rescapée d’Auschwitz devenue gardienne d’enfants de prostituées et Momo, son protégé préféré, un petit musulman qui est le narrateur du récit. Son cadre ? Le Belleville bigarré et chaleureux des années 70. « Ce Paris populaire-là, à une poignée d’années et deux arrondissements près, j’y ai vécu », dit Fior. « Je n’avais pas lu le roman. Mais au bout de quatre pages, j’ai crié ‘Banco !’ » Les illustrations sont plus nombreuses que celles du Dickens, le format plus grand. Fior choisit - toujours à la gouache - un style simple, épuré, rapide. En écho à la vivacité physique et mentale de Momo. Les décors, immeubles et voitures, sont stylisés : « C’est proche du
cartooning américain. » De ses racines à ses oeuvres, Manuele Fior est un créateur cohérent - et sans doute heureux. Il le confie : « Nous autres, illustrateurs et auteurs de BD, avons la chance d’entretenir un rapport très direct avec notre public. Contrairement à des modes d’expression plus officiels, notre art se saisit immédiatement. Il n’a guère besoin de filtres ou d’explications. »
François Landon