Brecht Evens
Le Roi Méduse Vol. 1
EXPOSITION
du 1er mars au 13 avril 2024
Vernissage
en présence de l'artiste
Jeudi 29 février à partir de 18h
Dédicace
Samedi 2 mars à partir de 15h
De figures royales, les galeries de Brecht Evens en regorgent. Elles s’alignent en nuée faste, points d’une trame qui toujours se fait, qui toujours revient. Elles naissent et s’évadent de mythologies, littératures, toiles de maîtres, folklores et carnavals pour imprégner la fresque générale. Certaines majestés ne sont qu’esquisses, reines d’un soir ou rois de cours de récréation ; d’autres s’imposent. Le plus souvent, elles commandent les peuples d’une nuit moirée, où ciel et sol se prêtent idéalement aux distorsions et autres aberrations visuelles.
Il y aurait par exemple Robbie, ce roi orgueilleux qui troque son trône pour la piste de danse, aiguisant le désir de son royaume en sursis (Les Noceurs).
Il y aurait cette cour de bâtisseurs pleine de rois maladroits, d’authentiques faiseurs d’utopie (Les Amateurs).
Il y aurait aussi ce prince félin conteur et mystifiant (Panthère).
Puis Jona, ce roi déchu changé en fou du roi par un corso de pseudos baron, sultan, reine d’Égypte, histrion, poète, passeur de légendes, etc. (Les Rigoles)
Et il y a Le Roi Méduse, nouvel atout que Brecht Evens place au centre de sa table de jeu mouvante, flottante. Carte maîtresse en laquelle résonne son propre écho (« méduse » vient du grec μέδω, médō, qui signifie « régner »), elle intime la plurivalence des mondes que l’artiste se plaît à ouvrir et fermer, suggérer et asséner, diluer et resserrer au gré des techniques, des couleurs et des compositions.
Les Rigoles s’achevait là où deux personnages s’éclipsaient. L’un d’eux : un vieux sage sorti des eaux et « habité par une multitude », prénommé Arthur. En miroir inversé, les premières images du Roi Méduse déplient six ans plus tard l’âpreté d’une mise au monde muée en mise à mort. L’enfant qui naît d’une mère condamnée s’appelle Arthur, lui aussi ; son chaos initial est un mutisme – l’empêchement du mot – et une paralysie – l’empêchement du geste.
S’extrayant de l’abîme du deuil, le père construit pour son « faible » de fils une forteresse, comme pour le remettre dans l’enceinte originelle, matricielle. Persuadé de l’existence d’un ordre secret de « Dirigeants » contre lequel il faudra tôt ou tard se battre, il le forme à la survie, à la dissimulation, au transhumanisme. Parce que la couverture de la nature seule ne suffit pas, Arthur,
« débranché », apprend ainsi les êtres et les choses par la théorie et par la stratégie, en huis clos, le toit du monde sur les épaules. L’enfant dissèque, décode, rapièce, se trompe, recommence, se fond aux rouages de la machinerie générale.
Mais la cellule éclate lorsque le père la crève et s’absente : pour le fils, le lien se distend. Il est temps d’être au monde.
Dans sa demeure-maison comme dans sa demeure-monde, Brecht Evens arpente le royaume des formes et de l’invisible en artificier. L’enfant à la cicatrice sur le front (le clin d’œil à Harry Potter fait sens), à la fois « vulnérable et puissant », avive dans sa marche, dans sa course, dans sa quête, un liage sensoriel inouï. Il suit la méduse comme Alice le lapin blanc et trouve en la nature charnelle le meilleur des guides : aux côtés du père apparaissent des êtres que l’enfant sent avant de voir.
Au-dedans comme au-dehors, le tourbillon emporte le réel et avec lui les odeurs, les sons, les couleurs et les matières, et il cristallise les motifs. Lorsque la figure émerge alors (d’autres figures mais aussi d’abstractions), elle est glorieuse car plurielle, toute d’encres, de gouache et d’aquarelle mêlées. Pour certains tableaux aquatiques, Brecht Evens est passé par le procédé lithographique, exacerbant toujours plus sa matière picturale et le rendu des couleurs.
Mais s’il est volontiers fiévreux, le trait se simplifie souvent au moment de décliner les tableaux du « père à l’enfant ». Car Le Roi Méduse est une carte de jeu : il appartient à Brecht Evens de s’amuser avec sa duplicité et de laisser croire que l’amour filial puisse faire fondre les rigueurs. « Puer universalis », l’enfant qu’il met en scène est et a l’univers tout à la fois, c’est-à-dire qu’il le reflète et le contient. Arthur, artiste, est un rêveur et un conteur sans limite.
Cathia Engelbach