Porte B.

Under Your Spell 

Une exposition de Tiffany Bouelle


 10 octobre - 2 novembre 2024

"Toute intimité véritable cache un secret."

– La Poétique de l’espace Gaston Bachelard (1957)

Mars 2024 - "It’s my party, and I’ll cry if I want to » (c’est ma soirée, et je pleure si je le veux). Pour la première fois, ses repères se brisent et laissent place à un souvenir presque effacé par les conventions de l’âge. Le sujet refait surface sous la forme d’une fracture. Désormais flottant, en noir et blanc, il réclame une nouvelle place dans l’œuvre de Tiffany Bouelle.

D’un seul trait — celui hérité de son grand-père, maître de la calligraphie japonaise — l’artiste continue à développer cette technique qui lui est propre. Après une période d’abstraction, celle-ci amorce un retour progressif vers la figuration, retrouvant ainsi un ancrage, une connexion à elle- même. Une transition s'opère, un mouvement oscillant entre un monde tangible et un univers plus introspectif.

Les sujets défilent aussi en couleur, parfois marqués par des réminiscences de l’enfance, ces lieux privilégiés de la rêverie toujours teintées d’une douce mélancolie. Gaston Bachelard évoque à ce propos : « Quel privilège de profondeur il y a dans les rêveries de l'enfant ! Heureux l'enfant qui a possédé, vraiment possédé, ses solitudes ! »

Ce repli vers l’âge tendre, vers les recoins cachés de la mémoire, forge l’essence de sa création : un enchaînement séquentiel où chaque scène est un fragment d’histoire. Plus que de simples contours, ces cadres narratifs permettent à l’artiste de tisser son propre récit à travers son travail. Le dessin au centre devient alors une façade, derrière laquelle se dissimule une œuvre plus intime, invisible, que seul le titre dévoile partiellement.

Ce n'est plus seulement le mystère des images qui se joue, mais celui de l'artiste elle-même. Comme elle recueillait autrefois les confidences de ses amies, elle dévoile aujourd'hui les siennes, touchant à une intimité radicale. Tiffany Bouelle nous laisse entrevoir une part de son histoire, sans jamais tout dire. Le tableau "Noyer le poisson pour un bouquet de larmes" en est l’exemple parfait. Cette expression évoque l’idée de détourner l’attention pour cacher une vérité. Ici, l’œuvre nous conduit vers un point central, où un poisson semble noyé dans un tourbillon de débris, toutefois, derrière ce chaos apparent, une œuvre cachée demeure. Autour de cette scène, les fragments dansent comme des astres en orbite, et le cadre évoque un échiquier, rappelant que "les jeux sont faits", renforçant ce sentiment d’inéluctabilité.

Dans la mise en scène de ses œuvres, cette notion de passage, d’ouverture, est centrale. Les tableaux ne se limitent pas aux cadres, mais se prolongent au-delà, s'incarnant sur les murs, épousant les formes de l'espace. La galerie elle-même, nommée 'Porte B', suggère cette idée de seuil. Elle devient un passage vers l'univers intérieur de Tiffany Bouelle, un lieu où l'art s'échappe de ses limites pour inviter le spectateur à franchir une frontière invisible.

Dans l’intimité de l’atelier, se trouve cet espace de silence, de retrait. C’est dans cet isolement que naissent les œuvres, chaque tableau étant une porte ouverte sur son monde intérieur. Le secret touche à l’essence même de notre être. Il n’est pas fait pour être exposé, mais il est la source de notre créativité et de notre capacité à rêver. Ainsi, dans chaque pièce de l'artiste, un secret persiste, à la fois richesse et mystère, qu’il faut préserver. Sous la surface des formes et des couleurs, quelque chose demeure, caché, mais présent, invitant le spectateur à se perdre dans les méandres de ce qui ne sera jamais tout à fait révélé.

Elise Roche

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Charlotte Delafond
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